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Le raisonnement et la décision en médecine

Généralités

Le but de ce chapitre est de comprendre les principes du raisonnement hypothético-déductif et de la décision contextualisée en médecine. Il s’agit aussi de comprendre la démarche EBM (pour Evidence Based Medecine) et d’en préciser les limites, de comprendre les notions de niveau de preuve, d’efficacité, d’efficience et d’utilité dans le raisonnement, et de comprendre la notion de discussion collégiale pour les prises de décision en situation de complexité et de limite des savoirs.

Commençons par définir quelques notions de base.

Le RAISONNEMENT MÉDICAL est le processus cognitif qui consiste à résoudre un problème clinique. Il nécessite de synthétiser les informations obtenues, de confronter ces informations aux connaissances médicales et de les utiliser pour prendre une décision.

La DÉCISION MÉDICALE résulte du raisonnement médical. Elle consiste à trancher entre plusieurs options thérapeutiques face à une situation clinique.

D’un point de vue légal, elle engage la responsabilité du médecin.

Raisonnement et décision

La démarche diagnostique va du symptôme au diagnostic.

Deux cas de figure :

  • Premièrement, il y a SIMILARITÉ ENTRE LE TABLEAU CLINIQUE ET LES CONNAISSANCES DU MÉDECIN. Elle entraîne une reconnaissance immédiate de la pathologie, qui augmente avec l’expérience du médecin. C’est une approche non analytique.
  • Deuxième cas de figure, L’APPROCHE ANALYTIQUE. Plusieurs hypothèses diagnostiques sont retenues initialement en fonction des symptômes du patient. Le médecin oriente alors son recueil d’informations à partir de ces hypothèses, qu’il conserve ou écarte suivant les résultats des examens cliniques et paracliniques. C’est un raisonnement hypothético-déductif.

Le raisonnement peut aussi être mixte : les hypothèses sont définies par reconnaissance immédiate, puis testées par raisonnement hypothético-déductif.

Les médecins formés à l’« Evidence based medicine », ou EBM utilisent l’approche bayesienne, qui conçoit la probabilité d’un diagnostic en fonction d’une probabilité pré-test et d’une probabilité post-test. Cette approche tire son nom du théorème de Bayes. Le test est entendu au sens large : examen paraclinique, question d’anamnèse ou signe clinique. La probabilité pré-test correspond à la prévalence du diagnostic dans la population dont le patient est issu. La probabilité post-test correspond à la probabilité révisée de diagnostic compte tenu du résultat du test. Elle dépend de la probabilité pré-test et des qualités du test, quantifiées par le rapport de vraisemblance, calculé par la sensibilité et la spécificité, et ses valeurs prédictives positive et négative.

Avant de revenir sur l’EBM, ajoutons une dernière notion à ce panel : L’ANALYSE DÉCISIONNELLE. C’est une technique d’abord des problèmes complexes par une série de problèmes élémentaires. Une analyse médico-économique prend en compte le coût-utilité d’une démarche diagnostique ou thérapeutique.

Mais revenons sur l’EBM, ou en Français « médecine fondée sur les preuves ». Elle a été définie et développée par des spécialistes canadiens de l’épidémiologie clinique dans les années 80. Elle a pour principe d’utiliser consciencieusement et judicieusement les meilleures données scientifiques pour une prise en charge personnalisée des patients. Cette pratique est basée sur l’idée que l’étendue des connaissances scientifiques à l’heure actuelle est telle qu’aucun médecin ne peut les assimiler. Il doit donc être capable de rechercher et d’estimer les informations lui permettant de répondre au problème rencontré.

En pratique, l’EBM comporte quatre étapes.

Premièrement, la formulation d’une question clinique précise à partir de la situation clinique rencontrée. La question comporte 5 éléments (PICOT) :

  • P pour « patients », soit les caractéristiques du patient et de son problème,
  • I pour « intervention », c’est-à-dire les éléments soumis à l’évaluation,
  • C pour « comparator », soit la comparaison à la principale alternative,
  • O pour « outcomes », soit les critères de jugement et
  • T pour « time », soit le délai de l’évaluation des critères de jugement.

Deuxième étape : l’identification des publications pertinentes (Medline, Uptodate, banque Cochrane, etc.).

Troisième étape : l’évaluation critique des publications identifiées (niveau de preuve scientifique, grade de recommandation, impact, etc.).

Dernière étape : la déduction d’une conduite à tenir adaptée au patient.

Nous avons parlé de niveau de preuve et de grade.

Rappelons que la HAS définit 4 niveaux de preuve scientifique pour la littérature et 3 grades de recommandation pour la pratique clinique.

LE NIVEAU DE PREUVE 1 est appliqué aux essais comparatifs de forte puissance, aux méta-analyses d’essais comparatifs randomisés et à l’analyse de décision basée sur des études bien menées. Cela correspond à un grade A, c’est-à-dire une « preuve scientifique établie ».

LE NIVEAU DE PREUVE 2 correspond aux essais comparatifs randomisés de faible puissance, aux études comparatives non randomisées bien menées et aux études de cohorte. Cela correspond à un grade B, c’est-à-dire une « présomption scientifique ».

LE GRADE C, de « faible niveau de preuve scientifique », recouvre les niveaux 3 et 4. Le niveau 3 correspond aux études de cas-témoins et le niveau 4, aux études comparatives comportant des biais, aux études rétrospectives, aux études épidémiologiques descriptives et aux séries de cas.

L’EBM présente des avantages (la collaboration Cochrane, la standardisation des pratiques et le développement de standards de publication internationaux), mais aussi des limites. L’EBM considère notamment rarement la polypathologie. Par ailleurs, certains outils ou score de recherche ne sont pas applicables en pratique. Il peut par ailleurs exister des discordances entre les recommandations. Sans compter le risque que la recherche clinique soit orientée par les compagnies pharmaceutiques.

Dans la démarche thérapeutique, l’EBM constitue l’un des trois raisonnements faisant suite à la décision de traiter. Ce raisonnement considère, comme nous l’avons expliqué, que la décision médicale ne doit plus se fonder sur l’expérience, mais sur une utilisation approfondie des connaissances actuelles.

Un autre raisonnement possible est le raisonnement analogique. La décision médicale est alors dictée par l’automatisme (c’est fréquent en médecine d’urgence) ou par le comportement dicté par un responsable hiérarchique. C’est un raisonnement d’habitude.

Dernier type de raisonnement retrouvé dans la démarche thérapeutique : le raisonnement pharmacologique ou physiopathologique, où le choix est dicté par la compréhension du mécanisme de la maladie.

Ajoutons que le médecin peut aussi être amené à décider de ne pas traiter, que ce soit parce qu’il n’existe pas de traitement connu de la pathologie, ou parce que les symptômes ne justifient pas de traitement, ou bien lorsqu’une décision d’arrêt des soins est prise.

Décision médicale partagée et décision collégiale

Régie par la loi du 4 mars 2002, la décision médicale partagée est un échange bilatéral d’informations portant à la fois sur les éléments de preuve scientifique et les préférences du patient. Elle se caractérise par une délibération en vue d’une décision acceptée d’un commun accord. La décision médicale partagée vise à l’amélioration de la participation du patient aux décisions médicales qui le concernent et de son observance. C’est à mi-chemin entre le modèle paternaliste, où seul le médecin prend les décisions et le modèle informatif, où le médecin délivre simplement l’information médicale mais où c’est le patient seul qui décide.

En pratique, la décision médicale partagée nécessite un consentement libre et éclairé du patient. Le médecin interroge le patient sur ses préférences et échange avec lui sur les informations médicales mais aussi sur ses valeurs. Médecin et patient prennent au final une décision commune. Différents supports, écrits ou vidéos, peuvent aider à la prise de décision, en particulier dans certaines situations (fin de vie, cancer, multiples comorbidités).

Dans des situations complexes, de limite du savoir ou d’arrêt de traitements actifs paraissant inutiles ou disproportionnés, en réa notamment, on peut avoir recours à une décision collégiale. C’est un processus décisionnel collectif. Le médecin en charge du patient doit d’abord rechercher les directives anticipées du patient, si elles existent.

Les directives anticipées sont les souhaits du patient relatifs à sa fin de vie, en termes d’intensité thérapeutique, rédigés à son initiative. Elles sont modifiables ou révocables à tout moment et sans aucune formalité. C’est un document écrit, daté et signé, qui doit a minima comprendre le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance de son auteur. Le patient fait connaître ces directives lors de son hospitalisation. L’original du document est conservé par le patient lui-même ou par sa personne de confiance. Une copie est gardée dans le dossier du patient.

Pour prendre une décision collégiale, le médecin doit ensuite consulter la personne de confiance ou, à défaut, la famille ou un proche du patient.

La personne de confiance est une personne désignée librement par le patient, par mandat écrit conservé dans le dossier. Ce rôle doit être accepté par la personne désignée. C’est un parent, un proche ou le médecin traitant, et pas forcément la personne à prévenir : il peut certes s’agir d’un seul et même individu, mais les deux rôles, de « personne à prévenir » et de « personne de confiance » diffèrent. La désignation de la personne de confiance est valable pour toute la durée de l’hospitalisation, sachant qu’il est possible d’en changer pendant l’hospitalisation.

Pour la décision collégiale, après consultation des souhaits du patient via ses directives anticipées ou les indications données par la personne de confiance, le médecin recherche l’avis d’un consultant extérieur, sans lien hiérarchique (médecin expert, médecin traitant du patient, réanimateur, etc.). S’ensuit une concertation entre le médecin et l’équipe en charge et une prise de décision finale motivée.

Finissons ce chapitre sur la notion de RCP, ou réunion de concertation pluridisciplinaire. Cette réunion de professionnels de santé de différentes disciplines est obligatoire pour tout patient atteint de cancer, qu’elle soit à visée diagnostique ou thérapeutique. La situation classique en cancérologie est de débuter un traitement puis de le valider en RCP.

Les RCP ne sont pas réservées à la cancérologie, et peuvent être mises en œuvre pour toute prise en charge complexe (VHC, greffe, etc.).

Pour être valide, une RCP doit réunir au moins 3 médecins de spécialités différentes. La présence du médecin traitant est sollicitée, mais pas obligatoire. Au cours de la RCP, les dossiers sont discutés à tour de rôle et de façon collégiale. Pour chaque dossier, la décision prise est tracée avec la date, le nom et la qualité des participants et les propositions diagnostiques et thérapeutiques. LA DÉCISION EST SOUMISE AU PATIENT ET INSCRITE DANS SON DOSSIER.